ORLAN, une artiste française, est reconnue pour son approche audacieuse, remettant en question le déterminisme social et politique, la suprématie masculine et les normes esthétiques conventionnelles de la beauté.
Dans le cadre de sa visite au Portugal et de l’exposition à la galerie CPS du CCB, il présente sa nouvelle série d’œuvres Femmage. Inspirée par des figures telles que Marie Curie, l’Impératrice Eugénie, Simone Veil, Hedy Lamarr ou Rosa Parks, avec qu’elle s’hybride, elle questionne les stéréotypes de genre et célèbre la complexité de l’identité humaine et les réalisations de ces femmes admirables. La commissaire Alexandra Silvano a interviewé l’artiste.
Qui est ORLAN?
Je suis ORLAN, entre autres, et dans la mesure du possible. Mon nom s’écrit chaque lettre en majuscules parce que je ne veux pas qu’on me fasse rentrer dans les rangs, je ne veux pas qu’on me fasse rentrer dans la ligne. Écrire en majuscules et comme écrire en écriture inclusive c’est politique et féministe. Pour une femme, écrire en majuscules, c’est sortir de l’ombre, c’est sortir de la timidité prescrite, c’est apparaitre. Comme je l’ai écrit dans mon autobiographie “strip-tease tout sur ma vie, tout sur mon art” parue aux éditions gallimard, être une femme est une calamité à la fois biologique et sociétale.
Dans wikipedia ils disent ORLAN s’écrit en majuscules et ils l’écrivent en minuscules. C’est un combat difficile à obtenir.
Beaucoup me considèrent comme une artiste de la performance mais je revendique d’être une artiste tout court. Mes performances on fait très souvent scandale et donc produit de gros titres de journaux, des émissions de télé.
Je suis une artiste qui n’est assujettie à un matériau, à une pratique artistique, à une manière de dire, à une technique ou à une technologie, qu’elle soit ancienne ou nouvelle. J’essaie de dire des choses importantes pour mon époque, en interrogeant des phénomènes de société, toujours avec une distance critique nécessaire. Bien-sûr après les avoir analysés, puis en avoir fait la synthèse, je me positionne et je me demande en quelle chair, en quelle matérialité et en quel style il sera en plus grande adéquation de représenter cette idée, pour faire vivre, révéler matériellement le concept.
Pour moi le concept de l’œuvre est sa colonne vertébrale puis le style, les matériaux c’est la chair. Je suis une artiste conceptuelle qui aime la chair, la forme et la couleur.
Lorsque je crée une oeuvre je construis un manifeste et un corps. Je considère le corps comme un matériau parmi les matériaux car je suis un corps rien qu’un corps, un corps tout entier et c’est mon corps qui pense.
Ce n’est pas votre première fois au Portugal. Quand avez-vous découvert le Portugal? Comment décrivez-vous cette expérience?
En août 1977, j’ai été invitée à Caldas da Rainha, au Portugal dans le cadre des Rencontres Internationales d’Art (1974-1977) organisées par Jaime Isidoro et Egídio Álvaro. J’y ai réalisé d’importantes oeuvres plastiques et performances de rue et d’institution. J’en garde un formidable souvenir. C’était très important qu’il y ai des lieux qui soutiennent la performance à une époque où le public et le milieu était encore peu réceptif à cette pratique.
J’ai créé s’habiller de sa propre nudité où je me promenais dans des jardins publics vêtue d’une robe en toile photographique avec une représentation de mon corps nu. Des policiers ont voulu me verbaliser pour exhibitionnisme, mais c’était impossible car j’étais habillée des pieds à la tête et j’avais dans mon sac mes papiers d’identités.
Je voulais mettre en évidence l’écart dans la vie publique où les autres se représentent plutôt qu’ils ne se présentent. En ce sens, la performance agit sur l’espace réel en perturbant la relation à l’autre, en rendant la rencontre critique.
Performance de ORLAN, marché de Caldas da Rainha, Portugal, 1977
J’ai aussi créé se vendre sur les marches en petits morceaux où je vendais des représenttaion photographiques des parties de mon corps, exposées sur une charrette dans un marché de légumes, tel un produit alimentaire avec une pancarte qui présentait les prix de chacune des parties de mon corps et sur laquelle était écrit “Est-ce que mon corps m’appartient?” “Garanti pure ORLAN sans colorant ni conservateur”. Mon ami et excellent photographe georges poncet, vient de me rappeler que nous avions été violemment agressés sur le marché par un groupe de mecs fachos qui estimait notre démarche et la démarche du festival gauchiste.
J’ai ensuite créé une grande installation murale avec tous ces fragments de mon corps.
Il s’agissait de questionner la manière dont la représentation fragmentaire transforme notre rapport au réel. Cette problématique de l’objectivation et du morcellement corporel amène à s’interroger sur le droit à disposer de son corps en lien avec le contexte historique et social, le droit de vendre la représentation de son corps alors que vendre son corps est interdit. J’ai pourtant vendu mes baisers, ma chair mise dans des reliquaires et ses fragments photographiques de mon corps.
D’autre part, on m’a proposé de présenter une grande installation au musée malhoa autour de ma photo “ORLAN en Grande Odalisque d’Ingres” faisant partie de la série tableaux vivant où la photographie y était reproduite en différents formats de plus en plus grands disposés dans l’espace sous des oreillers suspendus au plafond par des crochets de boucher fabriqués à partir des draps du trousseau et censés être la représentation physique de celui photographié.
Mon but à travers cette installation était d’interroger la notion d’échelle inhérente au médium photographique et de questionner les accessoires féminins stéréotypés du tableau d’Ingres.
Lors du vernissage, j’ai réalisé deux performances.
L’une était “ORLAN-CORPS, MESURAGE D'INSTITUITIONS ET DE RUE". Cette performance que je pratique depuis 1974 consistait à utiliser mon corps comme un nouvel instrument de mesure: “ORLAN-CORPS”.
L’idée de cette performance était de reprendre la théorie de protagoras «l’homme est la mesure de toute chose», en disant «l’humain est la mesure de toute chose», en l’appliquant très concrètement à une méthode pseudo-scientifique de mesure.
Mais j’ai surtout réalisé pour la première fois ma performance “Le Baiser de l’Artiste”. À partir d’un texte que j’ai écrit “Face à un société de mères et de marchants”, j’interrogeais la sainte et la pute, Marie et Marie-Madeleine, deux stérétotypes de femme auxquels il est difficile très d’échapper quand on est femme.
Sur un socle en bois peint en blanc se trouvait à gauche mon éfigie en SAINT-ORLAN, une photo de moi en noir et blanc collée sur bois et détourée costumée en madone avec les draps de mon trousseau. À droite, debout sur le socle, je vendais un baiser d’artiste, un vrai french kiss qui durait 20 secondes pour “20 escudos”. Il s’agit d’une première version simplifiée de celle qui sera, lors de la fiac d’octobre 1977, la performance qui marquera un tournant dans ma carrière.
J’ai rencontré de superbes artistes comme Albuquerque, Álvaro, Azevedo, …que j’ai ensuite invité pour mon premier Symposium International d’Art Performance de Lyon en 1979.
ORLAN, Le Baiser de l’Artiste, 1977
L’art performatif est à la genèse de sa carrière dans les années soixante, notamment avec les performances «ORLAN accouche d’elle-même» en 1964 et «Tentative de sortie du cadre» en 1965. La nudité de votre corps était une stratégie pour attirer l’attention au statut du corps des femmes dans la société actuelle? Était-ce le désir de briser les barrières et les règles qui étaient absolument castrateurs dans la culture occidentale?
On peut considérer ces deux œuvres comme des performances non-publiques mais elles ont été conçues pour la photo.
J’ai commencé mon travail par la sculpture, le dessin et la peinture, puis j’ai considéré le corps comme un matériau parmi les matériaux, parce que je suis un corps, rien qu’un corps, un corps entier, et c’est mon corps qui pense.
Dans les CORPS-SCULPTURES j’ai mis en scène mon corps nu, souvent sans identité parce que mes cheveux, ou un masque ou la position de mon corps cachaient mon visage. Ce qui était important pour moi c’était de considérer le corps comme une sculpture et de prendre des poses qui ne sont pas les poses habituelles, qui sont en dehors des stéréotypes de la séduction féminine. J’ai donc fait beaucoup de photos avec des poses étonnantes, rebelles, autres… tout en assumant ma nudité, ma sensualité, ma sexualité.
“ORLAN accouche d’elle-m’aime” A.I.M.E. est une oeuvre manifeste de 1964 et je dis que c’est la date de ma naissance, de ma renaissance. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me créer et à me recréer, à m’inventer, à affirmer quelque chose, à me situer parmi les mots d’ordre, et à réaliser que je devais m’affranchir des injonctions. Je ne donne pas naissance à un enfant, mais à un objet artistique androgyne qui parle à la fois d’identité et d’altérité, de duplication et de clonage et d’émancipation.
En même temps, mon nom ORLAN fait partie de ma réinvention. Tout ce que j’ai produit est une rupture avec la filiation, avec le nom du père et le corps de la mère. J’ai essayé de m’émanciper du formatage parental, de ma classe sociale et de mon environnement.
“Tentative de sortir du cadre” c’est ce que j’ai essayé de faire toute ma vie. Pour moi c’est une œuvre très importante et prémonitoire. Le cadre représente le formatage, le prêt-à-penser, les acquis de l’enfance et de notre environnement.
Il faut reconnaître ce cadre, savoir qu’il existe, pour pouvoir le dépasser, jouer avec, s’en émanciper, toujours avec une distance critique.
ORLAN, “Tentative de sortir du cadre”, 1965
Quand vous dites «le corps est politique… le corps est devenu un lieu de débat public», où allez-vous avec ces déclarations?
Je travaille sur le statut du corps dans la société, à travers toutes les pressions: culturelles, traditionnelles, politiques et religieuses qui s’impriment dans les corps, et en particulier sur celui des femmes. Je montre comment le corps est un médium artistique, politique et social, en particulier le corps des femmes car le corps est politique, le privé est politique, tout ce que l’on dit, tout ce que l’on fait est politique.
Considérez-vous l’art comme une utilité?
Il y a plusieurs sortes d’artistes. Il y a des artistes qui font des œuvres décoratives pour les appartements ou pour gagner de l’argent, et puis d’autres qui sont très engagés dans notre société et notre environnement et qui essaient de changer les choses, de construire un monde meilleur. Je fais parti de ces artistes là.
Je me suis battue toute ma vie dans le privé et dans le public, dans mon œuvre pour l’émancipation des femmes pour faire en sorte que les choses changent. J’ai toujours voulu faire bouger les mentalités, scier les barreaux de la cage et participer à la construction d’un monde autre, d’un monde meilleur.
Et j’aime citer Nietzsche en disant “nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité”.
En remettant en débat les canons de beauté établis par la société, vous soutient que les femmes ont le droit de se réinventer, de trouver des solutions personnelles pour qu’elles se sentent bien dans leur identité. Un nouveau chapitre s’ouvre ainsi dans votre parcours Opérations Chirurgicales-Performatives, dans lequel vous recourt à la chirurgie esthétique, dédramatisant son usage en explorant de nouvelles voies. Parlez-nous de cette expérience.
La beauté n’existe pas en soi. C’est notre perception dû à l’environnement dans lequel on est né et celui qu’on s’est construit qui nous fait trouver quelque chose beau ou pas. Dans ma série Self-hybridation Africaine, j’ai travaillé à partir de photos ethnographiques. J’ai créé une oeuvre manifeste en m’hybridant à la représentation d’une femme noire avec un énorme labret (ornement labial sous forme de disque plat) qui est magnifique et très sûre de sa séduction car dans sa tribu; à cette époque, dans l’histoire de sa tribu, celle qui avait le plus grand labret faisait le plus bander les mecs. Donc tout allait bien pour elle.
Si nous avions des labrets aujourd’hui, tout le monde se détournerait de nous, nous serions hors-champs de la séduction car la beauté n’est qu’une question de diktat de l’idéologie dominante dans un point géographique et historique.
J’ai créé “la réincarnation de SAINTE-ORLAN ou images nouvelles images dites Opérations-Chirurgicales-Performances” pour dérégler la chirurgie esthétique de ses habitudes d’amélioration et de rajeunissement et pour mettre en scène une opération chirurgicale qui n’était pas censée apporter de la beauté mais de la laideur, de la monstruosité, de l’indésirabilité. La première idée de ces opérations chirurgicales était de lutter contre les stéréotypes de beauté imposés particulièrement aux femmes .
C’est à la lecture de “la robe”, d’Eugénie Lemoine-Luccioni, psychanalyste lacanienne, que l’idée de ce passage à l’acte m’a traversée. J’ai pensé qu’à notre époque nous commencions à avoir les moyens de ramener l’image interne à l’image externe.
Je ne suis pas contre la chirurgie esthétique mais contre ce qu’on en fait. J’ai utilisé la technique de la chirurgie pour en faire une invention de moi-même, un autoportrait, une autoconstruction en m’attaquant au masque de l’inné.
Pour chaque performance j’ai décoré le bloc opératoire qui devenait mon atelier d’artiste et j’étais costumée par un grand créateur. Les performances étaient orchestrées par des lectures et lorsque le geste opératoire le permettait, je produisais des images, des vidéos, des photos, des dessins avec mon sang et mes doigts, des reliquaires avec ma graisse et ma chair et des sortes de «saint-suaires» avec mon sang séché et de la gaze médicale sur laquelle j’ai transféré des photos de mon visage pendant l’opération.
Le 21 novembre 1993 à new york a eu lieu la 7ème Opération-Chirurgicale-Performance dite “Omniprésence” qui été retransmise en direct via satellite au centre georges pompidou et dans d’autres musées dans le monde. J’ai fait poser des implants habituellement mis sur les pommettes pour les réhausser, sur mes tempes ce qui crée deux bosses. Si l’on ne me voit pas on peut vraiment penser que je suis un monstre, abominable, indésirable. Si l’on me voit ça ne change pas à tous les coups, mais ça peut changer. Ces bosses, ces horreurs, sont devenues des organes de séduction…c’est ma décapotable!
Orlan, Opération omniprésence, diffusé en direct par satellite au Centre Georges Pompidou parmi d'autres musées du monde, 1993
Qu’est-ce qui différencie l’Art Charnel de l’Art Corporel?
J’ai toujours refusé d’être associée au body art qui travaille avec la douleur et l’endurance. Les corps ont souffert pendant des millénaires sans qu’on ait un médicament pour arrêter la douleur. Pour moi, la douleur est anachronique et la souffrance n’est pas obligatoire, elle est en option. Bien sûr je suis contre cette option!
Je suis pour le corps plaisir. Certains artistes avec cette option ont créé des œuvres très intéressantes (Marina Abramovic, Jan Fabre…) mais ce n’est pas ma démarche!
J’ai donc écrit mon “Manifeste de l’Art Charnel”. Le 30 mai 1990 dans une église désacralisée nommée “All Saints” à Newcastle en Angleterre où j’ai annoncé lors d’une Performance-Rituel inaugurale ma décision d’entreprendre les Opérations-Chirurgicales-Performances en lisant mon manifeste. La première condition avec les different.E.S chirurgien.Ne.S était pas de douleur.
Vous déclare que la plupart de ses œuvres sont basées sur ce que vous lit. Créer pour soi est un besoin physiologique? Êtes-vous d’accord avec gilles deleuze lorsqu’il affirme "un créateur ne fait que ce qu’il doit absolument faire”?
Les textes, les mots, les livres ont toujours fait partie intégrante de mes créations qui me vient sûrement par empreinte à mon père qui sacralisait les livres dans une bibliothèque fermée à clé que je n’avais pas le droit d’ouvrir. Je lis beaucoup depuis mon plus jeune âge. C’est l’une de mes premières ouvertures au monde et à mon émancipation. Dans “Littérature pour se tenir bien droite”, je me suis mise en scène avec des piles de livres que j’avais dans mon atelier. Le concept était d’illustrer comment la lecture m’a permis de me tenir droite, de parler haut et fort, avec des contenus grâce à la connaissance. Cette démarche m’a permis de m’émanciper de ma classe sociale ouvrière, souvent peu instruite, pour atteindre un capital culturel et intellectuel supérieur. C’est le début de ma reconstruction interne. Et dans “ORLAN debout dans son carcan de livres”, je montrais combien la lecture fait souffrir, empêche le corps de bouger.
Ensuite, en exergue à toutes mes Opérations-Chirurgicales-Performances j’ai lu cet extrait de la robe: "la peau est décevante […] dans la vie on n’a que sa peau […], mais il y a maldonne dans les rapports humains parce que l’on n’est jamais ce que l’on a […] ; j’ai une peau d’ange, mais je suis chacal, une peau de crocodile, mais je suis toutou, une peau de noir, mais je suis un blanc, une peau de femme, mais je suis un homme ; je n’ai jamais la peau de ce que je suis. Il n’y a pas d’exception à la règle parce que je ne suis jamais ce que j’ai."
L’ORLAN-corps-de-livres est un autre exemple de mon amour pour les livres et de la façon dont ceux-ci s’impriment en moi. À l’occasion de ma résidence au Getty Research Institute en 2007, j’avais demandé aux chercheurs et chercheuses en résidence avec moi cette année-là de me donner le titre d’un livre ayant le plus marqué leurs réflexions, et orienté leur œuvre, leur vie. Une fois collectés, je les ai tous posés sur un grand bloc de granit, à l’entrée, là où les mots ‘Getty Research institute’ étaient gravés, avant de m’allonger à côté de ces livres. J’ai alors demandé à ce que l’on retire tous les ouvrages qui dépassaient la longueur totale de mon corps. J’ai ensuite lu ceux qui restaient en continu, en les annotant.
Dans toutes les civilisations et selon les paramètres imposés à l’époque, l’être humain avait le souci de modeler son corps, de changer son apparence, de s’hybrider. Ces canons n’étaient pas toujours liés à la beauté des icônes, mais parfois ils étaient liés au statut social, économique et au prestige. Entre 2000 et 2008, votre réflexion sur les standards de beauté s’est concentrée sur les cultures non occidentales : précolombienne, africaine, amérindienne et chinoise, ce qui a donné lieu à des séries d’« auto-hybridations ». À ce stade de votre carrière, était-il important de s’éloigner de la culture occidentale et de chercher à comprendre l’évolution des autres peuples et cultures, avec leurs énigmes bien particulières?
En fait, on peut diviser mon travail en trois parties:
La première partie est une interrogation de ma culture occidentale judéo-chrétienne, sur tous ses codes et diktats. La deuxième partie est une charnière. Ce sont les “opérations-chirurgicales-performances”, car elles remettent en jeu toutes les images dont ma propre image avec de nouvelles images qui sont le résultat de ces performances.
Le troisième volet de mon oeuvre est la série des “self-hybridations”, qui sont les premières oeuvres post-opératoires et qui interrogent les cultures non occidentales.
J’ai beaucoup voyagé dans ma vie pour comprendre le monde et lutter contre l’ethnocentrisme. Ces œuvres sont le fruit de mes études et de mes nombreux voyages.
En utilisant l’ordinateur, j’hybride des sculptures, des photos et des peintures d’autres civilisations que j’admire ; pour créer une nouvelle proposition, un nouveau type de beauté.
AL’hybridation, ce n’est pas seulement 1 + 1, c’est l’idée que les forces de l’un et de l’autre ensemble font quelque chose de plus, font une troisième oeuvre qui n’aurait pas pu exister sans les deux autres.
J’ai réalisé des hybridations précolombiennes, africaines, amérindiennes, chinoises et récemment mayas.
Les déformations corporelles sont très importantes pour moi. Toutes les civilisations ont voulu fabriquer les corps bien-sûr non seulement les corps mais aussi ce qu’il y a dans les têtes. La déformation crânienne par exemple est pour toutes les castes sociales, aussi bien chez les pauvres que chez les riches et c’était aussi pour les hommes et pour les femmes. Vous pouvez en faire l’expérience si vous avez un bébé sous la main vous mettez des bandelettes autour de sa tête, vous ne serrez pas trop fort pour que ça ne lui fasse pas mal et quand la fontanelle est soudée, le crâne a pris la position dans laquelle vous avez mis les bandelettes. Donc vous avez un être qui a été transformé, modifié différemment. Et c’est une modification que l’on retrouve chez les africains, chez les précolombiens, chez les egyptiens. Les experts dans le musée m’ont dit “mais qu’est-ce que vous venez chercher si loin des crânes déformés, vous en avez chez vous”, très surprise j’ai dit “quoi?”, Ils m’ont dit “les mérovingiens ont fait ça! Regardez du côté de albi, vous avez la fameuse vierge à l’enfant de rabastens où le crâne de l’enfant est déformé et le crâne de la vierge est aussi déformé”. Donc vous voyez, on croit que c’est pour les autres, pour “les sauvages” mais nous on a fait les mêmes choses.
ORLAN, auto-hibridação com figura Maia Antropomórfica, 2022
"Je t’autorize à être moi, je m’autorize à être toi" est une nouvelle série d’images créée dans la continuité de « auto-hybridation » et maintenant présentée en 10 éditions au cps. Peut-on considérer cette phase de votre carrière comme un renforcement plus direct et interventionniste du combat pour les causes féministes, la défense des droits des femmes et leur reconnaissance dans la société? Parlez-nous de cette série et de ses particularités, de la manière dont elles dialoguent avec les problématiques féministes contemporaines.
Actuellement, je suis inconsolable j’ai l’impression que ma vie n’a servi à rien car après quelques avancées tout est en train de se refermer.
Comment se fait-il qu’il n’est pas possible de montrer un corps, un sein féminin sur instagram ou facebook sans que la publication soit effacée et ou floutée? Pour moi c’est vraiment aberrant.
Aujourd’hui nous subissons la tyrannie de la censure, comme quand on reculottait les chefs d’oeuvres de michel-ange dans la chapelle sixtine. Comment est-ce possible que l’avortement, la contraception ou le mariage pour tous soient remis en question? L’église fait semblant d’être dissociée de l’état et par rapport à la nudité c’est très étrange que ceux qui croient en dieu se permettent d’intervenir dans la vie des autres d’autant plus que si l’on estime que dieu a créé les êtres humains à son image se sont alors des chefs oeuvres qu’il faudrait d’autant plus montrer pour rendre hommage à dieu.
On ne demande pas à ceix et celles qui ne veulent pas faire l’amour avant le mariage de ne pas se marier ou de divorcer ou d’avorter ou d’être homosexuel.Le. Donc cela devrait être totalement symétrique et réciproque que personne ne se mêle de la vie privée des autres.
Mais les religions sont faites par les hommes pour les hommes pour maintenir le patriarcat et la misogynie et de plus divisent, crée du communautés qui croient détenir la vérité et se font la guerre.
Les conséquences sont graves car le féminisme ne tue pas mais le patriarcat oui. J’adorerai pouvoir interroger d’autres phénomènes de sociétés mais quand on voit le monde actuel je me sens obligée de continuer mon combat.
C’est pourquoi, je travaille sur une nouvelle série d’hybridations “Je t’autorise à être moi, je m’autorise à être toi” qui est une phrase de l’une de mes chansons de mon album.
Et c’est des Femmages à des femmes de l’histoire que j’admire qui ont défendu les mêmes causes que moi mais bien avant moi et qui parfois y ont laissé leurs vies. Ou qui ont été des pionnières souvent oubliées, effacées ou sous-représentées.
Ce geste d’hybridation avec l’autre me permet, en toute sororité, de leur donner un baiser d’artiste et de créer une rencontre entre femmes malgré la nuit des temps qui nous sépare.
ORLAN, Hedy Lamarr (Série Femmage), Édition CPS, 2024
Lors de la réalisation d’éditions avec le cps, pensez-vous qu’il est important d’établir une proximité avec le public qui collectionne les œuvres graphiques originales? Souhaitez-vous trouver de nouveaux publics et rendre votre travail plus universel?
La situation s’est quand même améliorée pour la représentation des femmes dans l’art, mais pas assez. Finalement, c’est toujours pareil : on trouve très peu de femmes dans le grand marché ou dans les classements. Le système artistique est le reflet de la société et ne soutient pas les femmes. Vous savez ce que les Guerilla Girls disent “être une femme artiste est fantastique parce que notre carrière peut exploder dès 80 ans!”
Les artistes masculins vendent le plus et le plus cher. Il y a très peu de femmes au sommet du marché international.
De plus, beaucoup de femmes empêchent d’autres femmes de passer car on nous a appris à nous détester et à être concurrentes.
Le mouvement #metoo a fait beaucoup de bien. Mais en france, dès que le féminisme fait un pas, il y a toujours un retour de manivelle énorme. Il y a même eu ces cent signataires, des femmes, qui avaient pour but de faire taire les combats féministes, sans aucune compassion, sans aucune sororité avec les femmes qui commençaient à parler, et qui tout à coup étaient ridiculisées. C’est d’une violence sans nom pour moi.
C’est pour cela que j’ai été très heureuse de la démarche de vous, alexandra silvano, de soutenir des femmes artistes, de les exposer, de les produire et de les rapprocher du grand public. J’ai été très heureuse de cette belle collaboration et d’avoir pu rencontrer à nouveau le public portugais.
Je n’ai jamais fait une œuvre sans la penser comme un corps qui chercherait d’autres corps pour exister, j’ai toujours un grand souci du public, je ne veux pas le laisser pour compte, j’essaie d’établir des ponts et souvent de l’interaction avec lui et de le questionner face à ses prêts-à-penser, à ses a prioris.
Peut-on dire qu’ORLAN est une artiste multimédia qui s’intéresse à la technologie et cherche à utiliser différentes techniques pour réaliser ses créations?
Je suis ni technophile ni technophobe mais j’adore vivre avec les avancées technologiques de mon temps. Quand j’étais adolescente, dans mes rêves les plus fous je n’aurais jamais pu imaginer qu’un jour j’aurais un android dans la poche qui me dirait où je suis par exemple à quelle distance d’un musée à visiter et à qui je pourrais poser des quantités de questions dont la plupart du temps les adultes ne savaient pas me répondre ou très approximativement.
Très tôt je me suis intéressée au tout début de la vidéo, au minitel ancêtre d’internet, et par la suite j’ai créé des oeuvres en réalité augmentée mais jamais simplement pour utiliser une technologie mais parce que cette technologie me permettait de dire quelque chose en adéquation.
Par exemple avec la réalité augmentée j’ai fait scanner mon corps, puis fait articuler et programmer pour qu’il fasse les acrobaties de l’opéra de pékin car à l’opéra de pékin les femmes sont interdites et se sont les hommes qui jouent le rôle des femmes et de la même manière dont j’ai créé “tentative de sortir du cadre” j’ai voulu grâce à mon avatar sortir de l’oeuvre (self hybridation de mon visage avec les masques de l’Opéra de Pékin qui servent de QR Code) on peut faire apparaître mon avatar, le voir faire les acrobaties de l’opéra de pékin et se photographier avec lui et envoyer ses photos dans le monde entier. J’utilise ces nouvelles technologies uniquement pour dire quelque chose d’indispensable à l’oeuvre que je pourrais dire autrement.
L’ ia est un outil comme un autre, c’est une intelligence auxiliaire. Car nos corps sont obsolètes, on n’arrive plus à faire face à la situation et l’ia peut nous aider en terme de mémoire et de rapidité par exemple. Je l’utilise beaucoup.
Je suis même entrain de mettre en place ma propre intelligence artificielle (ia) qui pourra faire des oeuvres à ma place suivant mon protocole post-mortem.
Il m’est appparu très important en tant que femme d’interroger un autre phénomene de société que la robotique et l’ia. J’ai créé un robot, une sculpture mouvante que j’appelle “ORLANoide”.
En 2018 pour “Artistes et Robots” au Grand Palais. Il a de l’intelligence artificielle mélangé à de l’intelligence collective et sociale. Il est constitué d’un générateur de mouvement et aussi d’un générateur de texte. Le robot me ressemble et parle avec ma voix puis lit simultanément tous les textes générés par le générateur de texte sur de grands écrans à led à côté du robot. Il s’agit d’une œuvre en work in progress et actuellement je peux l’emmener dans mes conférences pour que le robot traduise simultanément tout ce que je dis en anglais ou en portugais. Grâce à l’ia, il répond à toutes les questions du public comme si c’était moi en fonction de ma vie, mes gouts, mes avis. Et ces questions et réponses s’impriment immédiatement et les spectateurs et spectatrices peuvent emporter les réponses. Actuellement, je travaille sur un hologramme intéractif dans la continuité de mon robot.
Criação do "Orlanoide" para a exposição Artists and Robots, no Grand Palais, em Paris (2018), um robô à imagem da artista que combina a inteligência artificial com a inteligência coletiva e social.
Si l’art est hors la loi, de la résistance, elle, n’impose aucune limite. Est-il plus difficile pour un artiste de créer aujourd’hui, alors qu’il existe une infinité de techniques, de matériaux et un accès facile à l’information? Êtes-vous optimiste quant à l’avenir?
A l’époque on n’avait pas accès à l’information aussi facilement. Je ne connaissais pas ou très peu les autres artistes de la performance quand j’ai commencé. À cette époque, il faut vraiment prendre conscience qu’il n’y avait pas internet, pratiquement pas de magazines, très peu d’endroit où il était possible de voir de l’art contemporain. Avant les années 1980, l’art contemporain n’était que balbutiant et c’était particulièrement vrai en france, a fortiori hors de paris.
Par exemple lorsque l’artiste performeuse valie export m’a invitée à berlin pour donner une conférence dans l’université où elle enseignait, bien après le début de ma carrière en 1996, nous avons été très étonnées de nous rendre compte de nombreuses similitudes entre certaines de nos performances respectives pratiquées à peu près aux mêmes dates et par le fait que nous écrivons toutes les deux nos noms en majuscules. Pourtant, lorsqu’elle avait adopté cette graphie, elle n’avait pas entendu parler de moi et je n’avais jamais entendu parler d’elle !
Actuellement, tout le monde est interconnecté où que l’on soit. C’est formidable! Et toutes les options techniques sont des plus mais tout dépend de ce que l’on en fait, de la qualité de l’artiste et de ses concepts.
Parallèlement à votre carrière d’artiste, vos enseigne depuis les années soixante dans des écoles, partageant votre connaissances et votre réalisations en organisant de nombreuses conférences dans des universités et des écoles d’art. Le contact et la proximité avec les plus jeunes finissent par être un stimulant pour votre travail. Parmi le grand public, pensez-vous qu’il est plus réceptif à comprendre votre travail?
L’enseignement, pour moi, a été comme de passer de l’autre côté de la barrière. Une revanche de femme qui s’est faite toute seule et très fière de ce qu’elle est arrivée à devenir contre vents et marées et en-dehors de sa caste sociale, en-dehors de ce qui lui était désigné.
C’était aussi une manière de me remémorer mes connaissances pour qu’elles s’inscrivent dans ma mémoire.
Au début, j’ai donné des cours privés d’art plastique à des enfants et des adolescent.E.S, puis d’expression corporelle, de diction et de théâtre à des jeunes et plus tard de peinture dans diverses organisations. J’ai enseigné l’art-thérapie, travaillé avec des personnes âgées, des prisonniers et prisonnières, des étudiant.E.S en École des Beaux-Arts et je donne très souvent des workshops et beaucoup de conférences, dans le monde entier.
Lorsque j’ai enseigné dans les écoles nationales supérieures des Beaux-Arts, j’aimais passionnément donné la parole aux étudiant.E.S, rentrer dans leur logique pour ensuite les aider en leur donnant toutes les informations en ma connaissance autour de leurs problématiques, en leur offrant des pistes de recherches en dehors d’une étude littérale et des sentiers battus. Les informer sur l’histoire de l’art et le monde de l’art.
J’étais capable de parler à une classe pendant des heures, à tel point que mes étudiant.E.S m’avaient nommée le «Fidel Castro de l’art»!
Je donnais beaucoup et j’aimais énormément ce métier de questionnements constants, de transmission, d’échanges exaltés et de débats vifs. Il me semblait primordial de rester à distance de mes étudiant.E.S, pour qu’ils et elles se sentent libres et non assujetti.E.S à mes dires. Je leur enseignais que nous les artistes, nous avons une grande responsabilité, qu’il est impensable selon moi de convoquer un public pour lui montrer quelque chose sortant de nous sans aucun travail, sans aucune élaboration, sans recherche, sans aucune réflexion, et sans savoir au moins un peu ce que l’on fait, ce que l’on voudrait dire et ce qu’ont fait les autres artistes dans le même domaine.
Il est vrai aussi que l’on m’identifie très souvent dans la rue, que ce soit au metropolitan, à Paris, à Macao, à Luçon, à Shanghai ou à Craponne-sur-Arzon. Narcisse n’est pas blessée! Et j’aime prendre le temps, quand j’en ai, pour parler avec celles et ceux qui m’abordent, qui souhaitent prendre des photos et veulent avoir un autographe, car j’ai soulevé tellement de questions je dois faire face, je ne peux pas me débiner et je dois répondre aux questions que l’on me pose. Beaucoup de personnes et de femmes me reconnaissent et elles connaissent mes œuvres, car mon œuvre figure au programme des collèges, des lycées, des universités, des écoles d’art, aussi celles de formations aux métiers du marché de l’art à l’École du Louvre, dans les Écoles des Beaux-Arts ou de management de l’art de nombreux pays. Je suis heureuse de voir qu’il est aujourd’hui difficile d’ignorer mon travail dès que l’on aborde le corps, la performance, l’hybridation, le baroque, les biotechnologies, ou l’intelligence artificielle et la robotique… de plus, ce n’est vraiment pas courant dans le milieu des arts plastiques que les artistes soient reconnu.E.S comme des célébrités dans la rue. Cela me donne un statut à part et bien sûr certains détracteurs me reprochent mon versant populaire, ce n’était pas assez chic pour eux.
Vidéo de l'exposition "Je t’autorize à être moi, je m’autorize à être toi" dans la galerie CPS au CCB, Lisbonne, 2024
Faisant encore une fois appel à votre originalité sans limite, quel message souhaiteriez-vous partager avec le public?
Je suis sans cesse en train de me repenser, de me refabriquer, de me réinventer. Penser c’est toujours penser contre soi. J’ai toujours voulu m’émanciper et puis m’émanciper à nouveau de ma propre émancipation précédente et je souhaite à tout le monde de faire la même chose car d’être critique, curieux et d’être toujours en éveil.